La danse de l’Amour

Jusqu’au dernier moment, j’ai hésité à venir.
Je suis dans le tram, avec ma boule au ventre qui ne me lâche pas depuis des jours.
Mes émotions sont ambivalentes, une joie de participer enfin à un événement qui me tient à cœur, et à l’inverse une impression de ne pas avoir ma place.
De toute façon il est trop tard, le tram vient de s’arrêter et je suis arrivée à destination.
Je hâte mon pas car j’ai quelques minutes de retard et je n’ai pas envie de me faire remarquer, surtout pas en ce jour spécial.
J’arrive essoufflée devant la porte de l’hôpital et c’est avec un grand soulagement que je découvre une foule immense, qui attend comme moi le début de l’inauguration.
Finalement j’avais peur que cette soirée soit beaucoup trop privée, et que nous ne soyons que peu de monde témoin de ce lancement.
Je prends une grande respiration, et commence à m’apaiser, il aurait été dommage que je ne vienne pas, intérieurement je commence à remercier Axel qui m’a donné cette opportunité d’être présente.
J’entrevois des jeunes femmes, de-ci de-là, au milieu du grand hall, vêtues de longue jupe noire et un haut pailleté, je comprends que ce sont nos jeunes danseuses qui attendent patiemment le lancement de la soirée.
Je prends le temps maintenant de savourer l’ambiance qui commence à se dégager du public.
Je ne connais personne, j’observe des sourires, des embrassades chaleureuses, dans l’air se dégage cette petite excitation qui précède les annonces officielles.
Il serait impossible de savoir quel est le thème de la soirée, si quelqu’un arrivait sans en avoir connaissance, tellement l’ambiance est bon enfant.
Sans m’en rendre compte, cela présageait les messages positifs que la soirée devait laisser dans les mémoires de chacun.

Les premières notes résonnent dans le hall, les danseuses s’élancent de chaque côté, gracieuses, légères, avec une petite pointe d’humour dans certaines chorégraphies, la voix de Juliette nomme des femmes toutes aussi charismatiques les unes que les autres.
Celles qui nous inspirent dans nos moments de doute, de peur, de joie, de force. Des modèles dans des époques et des mœurs différents, de grandes femmes qu’il est bon de remettre en avant à chaque fois que la femme est malmenée dans ses conditions physiques et psychologiques, comme des phares dans le brouillard et qui nous aident à garder le cap sur la vie.
Sur cet air joyeux et entraînant, un message lourd de sens sur leurs luttes qui restent les nôtres au quotidien, même en 2023.

Le premier tableau s’achève et telles des fées qui nous guident, nous arpentons le couloir pour ne pas les perdre de vue.
Elles se remettent en place, nous sommes tous agglutinés pour ne pas perdre une miette de leur prochaine représentation.
Je veux filmer, mais la qualité de l’image va être médiocre, je suis serrée et je tremble, je décide de profiter pleinement du moment, surtout que les premières notes me font reconnaître tout de suite la chanson.
Je l’écoute souvent comme pour me faire violence dans mes combats persos, l’entendre ici et maintenant me prend encore plus aux tripes.
La scénographie rend hommage à toute la puissance de cette chanson, chaque corps dégage fragilité et puissance, je retrouve ce message de se débattre dans les difficultés réelles et irréelles, avec cette volonté farouche de plus de justice que de bataille.
Emilie Plotton, professeur de danse de nos petites fées, vêtue d’une belle robe argentée ressemble à une déesse qui sort toutes ces âmes de leur torpeurs, laissées au sol après le combat.
Pourtant c’est elle qui sera portée et supportée par ses danseuses en position allongée, comme si la cohésion rendait l’effort plus simple pour toutes, toutes modèles pour chacune d’elles, au sol, portées ou en l’air, le message est unitaire, jamais seules.
Une force qu’on croyait disparue, portée en étendard avec le corps d’Emilie. Je retiens mes larmes et je sais que ce n’est que le début.

Nous suivons de nouveau ces jeunes femmes, impatients de découvrir la suite de leur spectacle, nous traversons les différentes zones colorées de l’hôpital pour emprunter un escalier qui nous emmène au premier étage, point bleu, la pièce est plus petite, plus exiguë, plus conviviale.
Je vois encore moins les danseuses qui sont au sol, un air enchanteur lance le dernier tableau de leur représentation, doux et envoûtant, un vrai petit écrin puis la voix de la Callas me traverse le corps, au fur et à mesure que la chanson avance l’émotion l’emporte, la force de sa voix me traverse le cœur, je ne connais pas l’air et pourtant je sens autant de tristesse, de prière que de paix, un véritable appel.
Les danseuses retirent un drap délicatement d’un tableau soigneusement protégé, comme par pudeur il reste recouvert par ce drap quelques secondes supplémentaires, car ce dernier reste coincé dans un coin comme pour dire: « prenez soin de moi, je ne suis pas prêt », une très belle image en adéquation avec cette soirée.
La voix de la Callas résonne et raisonne si fort en moi devant ce tableau majestueux, que les larmes coulent d’émerveillement devant la combinaison de l’art de tous les artistes qui ont participé à cette inauguration.

Le tableau pour lequel je m’étais déplacée, imposant par ses 10m2, est d’une douceur extrême, ses couleurs et son cadre font penser à un endroit paradisiaque, la mer calme, la végétation luxuriante nous laissent imaginer le chant des oiseaux, un lieu de repos et de calme. Cette peinture à 4 mains de Eeling Ana Lee et Axel Roumy, une femme et un homme unis dans le projet d’un message bienveillant et réparateur. On peut voir une femme dans l’eau. On ne sait pas si elle se noie, et perd pied ou si elle essaie de danser malgré l’eau présente jusqu’aux seins. Et cette femme sur le bord du rivage, veut-elle l’aider, l’admirer, l’imiter dans sa danse? Est-ce elle plus tard libérée de ses entraves, qui peut se mouvoir de nouveau sans peur d’être rattrapée par la marée des émotions? Le soleil est là, chatoyant pour apaiser les cœurs et les esprits. Chacun y trouvera son interprétation, chacune y trouvera son symbole nécessaire pour créer sa reconstruction quand elle foulera l’entrée de l’Unité de Violence Faites aux Femmes, créée il y a un an au CHR d’Orléans et qui vient d’être inaugurée ce soir.
« La danse de l’Amour » de son joli nom, offert par les artistes à l’hôpital, laisse entrevoir que l’amour de soi pour son bien-être, sa sécurité et son développement est une étape clé pour avancer dans la vie. Ce tableau contrebalance avec l’horreur des chiffres et des faits que les femmes ont pu vivre, cette paix et harmonie qui s’en dégagent, nous souhaitons qu’elles les trouvent au sein de ce lieu qui se veut accompagnant et libérateur de leur calvaire.
Ce service porté par une femme exceptionnelle, le Dr Aimé par sa détermination, son humanisme saura prendre soin de toutes celles qui arriveront à faire le premier pas, celui qui leur permettra de ne plus être seule.

Les applaudissements pleuvent et sont tellement mérités, quel plus beau tapis rouge les artistes auraient-ils pu créer?
« L’art pour penser et panser nos maux » était comme une nécessité en introduction de ce sujet sensible des violences faites aux femmes.

Force et fragilité
Détermination et résilience
Accompagnement et liberté

Voici les émotions traversées pendant ces tableaux d’artistes mais surtout :

Soutien et cohésion

Pour une cause noble et nécessaire qu’est la protection des femmes.

Pour rappel, un seul numéro 3919 gratuit, anonyme et accessible 24h/24, 7j/7

Violence intra familiale, au travail, dans la rue, c’est stop, plus de tabous et éduquons tout le monde au respect.

Rappelons aussi que les enfants sont les témoins et les victimes de ces violences.

MAJ du 1 Février 2023

Magnifique vidéo sur Instagram qui vous plonge dans la création de la toile.